« Valérian et Laureline » : Les pionniers du space opera européen

par | 22 Fév 25 | BD et mangas cultes de la SF

Née en 1967 sous la plume de Pierre Christin et le trait de Jean-Claude Mézières, Valérian et Laureline a révolutionné la science-fiction en bande dessinée. Ce space opera visionnaire a inspiré des générations d’artistes, du cinéma à la BD en passant par les jeux vidéo, imposant son univers foisonnant et son regard critique sur le futur.

En-tête d’article : Illustration issue de la bande dessinée « Valérian et Laureline » de Pierre Christin (scénario) et Jean-Claude Mézières (dessins)

Allez à l’éssentiel !

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Illustration issue de la bande dessinée « Valérian et Laureline » de Pierre Christin (scénario) et Jean-Claude Mézières (dessins)

 Valérian et Laureline : Chroniques d’un voyage à travers l’espace et le temps

Dans un avenir lointain où l’humanité règne sur l’espace-temps, Valérian, agent du Service Spatio-Temporel (SPT) de Galaxity, veille sur l’équilibre des mondes. Sa mission le mène jusqu’au XIe siècle, sur une Terre médiévale où le redoutable Xombul, superintendant des rêves, cherche à s’emparer de pouvoirs ancestraux. Mais le destin place sur son chemin Laureline, une jeune sauvageonne à l’intelligence affûtée, qui deviendra bien plus qu’une simple alliée : une compagne inséparable, un miroir de ses valeurs et une garante de son humanité. Dès lors, le duo parcourt les âges et les étoiles, poursuivant Xombul jusque dans les ruines noyées d’un New York post-apocalyptique, affrontant des conspirations galactiques et révélant les secrets d’empires millénaires. Syrte-la-Magnifique, cité de mystère et de puissance, les plonge au cœur d’un conflit où science et mysticisme s’entrelacent. Les Connaisseurs, héritiers d’une expédition terrienne oubliée, portent en eux les réminiscences d’une catastrophe nucléaire passée, annonçant la menace d’un avenir incertain. Mais lorsque le fil du temps vacille sous les manipulations de la Trinité d’Hypsis, une vérité plus vertigineuse encore se dévoile : en réécrivant le destin de la Terre, c’est Galaxity elle-même qui s’efface, et avec elle l’ordre auquel Valérian a consacré son existence. Désormais errants, Valérian et Laureline deviennent mercenaires, plongeant dans les intrigues du Triumvirat de Rubanis, avant d’être happés par une quête plus vaste encore : retrouver la Terre perdue, cette origine mythique égarée dans l’infini du cosmos. Sur les rives du Grand Rien, aux confins de l’univers, leur odyssée prend un tour ultime. Les Wolochs, forces obscures tapies aux limites de la réalité, se révèlent être l’ombre même qui a guidé le destin des mondes. La bataille finale les oppose à tous leurs ennemis, dans un affrontement où s’entremêlent le passé, le présent et l’avenir. Mais alors que la Terre de Galaxity renaît, Valérian et Laureline découvrent que leur voyage les a transformés au-delà du temps : renvoyés à l’enfance, adoptés par Monsieur Albert, ils contemplent, d’un regard neuf, l’incommensurable cycle du temps et de l’humanité. Ainsi s’achève et renaît l’histoire de « Valérian et Laureline », aventuriers d’un univers mouvant, émissaires d’une humanité en perpétuelle quête de son propre reflet.

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Photo de Maxppp pour le journal « Ici » (France Bleu et France 3) : Pierre Christin (à gauche) et Jean-Claude Mézières (à droite)

 Pierre Christin et Jean-Claude Mézières : Architectes de mondes imaginaires

Pierre Christin : L’architecte des récits

Né le 27 juillet 1938 à Saint-Mandé, Pierre Christin grandit dans une France marquée par les bouleversements de la Seconde Guerre mondiale. Son appétit pour les lettres et son esprit curieux le mènent à la Sorbonne puis à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, où il décroche son diplôme en 1963. C’est un homme de plume et de réflexion, qui s’intéresse aux marges de la société autant qu’aux courants dominants. Sa thèse, portant sur « Le fait divers, littérature du pauvre », révèle déjà une sensibilité aux micro-récits du quotidien, ces anecdotes qui reflètent les grandes mutations du monde. C’est aux États-Unis, où il enseigne la littérature française à Salt Lake City, qu’il retrouve son ami d’enfance Jean-Claude Mézières . De cette amitié, forgée sous les alertes aériennes de la seconde guerre mondiale, naîtra une collaboration qui marquera l’histoire du neuvième art. En 1967, leur premier récit, “Les Mauvais Rêves” , pose les fondations de “Valérian et Laureline” , une série qui redéfinit les codes de la science-fiction en bande dessinée. Christin ne se contente pas de bâtir des univers fantasmagoriques ; il injecte dans ses scénarios une réflexion sociale, politique et philosophique qui confère à ses histoires une portée intemporelle. Collaborant avec des artistes de renom comme Enki Bilal et Annie Goetzinger , il explore des genres variés, du polar à l’uchronie, et enrichit le monde de la BD de son regard acéré et visionnaire.

Jean-Claude Mézières : Le poète du trait

Jean-Claude Mézières, quant à lui, est né le 23 septembre 1938 à Paris, dans une famille où l’art est omniprésent. Dès l’enfance, il développe un goût prononcé pour le dessin, inspiré par les bandes dessinées que son frère aîné lui fait découvrir. À dix ans, il reçoit un album de Tintin, “Le Lotus Bleu” d’Hergé , en cadeau. Cette lecture fondatrice l’incite à rêver de mondes lointains et de destins extraordinaires. Après des études aux Arts Appliqués, il fait ses premières armes dans le monde de l’illustration et de la bande dessinée. Mais l’appel de l’Ouest américain est plus fort : en 1965, il traverse l’Atlantique et devient cow-boy dans l’Utah, vivant au plus près des paysages qu’il a tant fantasmés. Cette expérience, entre errance et apprentissage, marquera à jamais son trait : ample, dynamique, détaillé sans être figé, capable de retranscrire la grandeur des espaces et l’effervescence des cités futuristes. Son retour en France est synonyme de nouvelle aventure : aux côtés de Pierre Christin, il donne vie à “Valérian et Laureline”, injectant dans la série son amour du western et son expérience du grand large. Son talent ne se limite pas à la bande dessinée : il collabore avec le cinéma, notamment pour “Le Cinquième Élément” de Luc Besson , où son influence sur l’esthétique du film est manifeste.

 

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Illustration issue de la bande dessinée « Valérian et Laureline » de Pierre Christin (scénario) et Jean-Claude Mézières (dessins)

 Une révolution graphique et narrative : l’héritage de Valérian et Laureline

Pierre Christin et Jean-Claude Mézières ont redéfini les contours de la science-fiction européenne. Avant eux, le genre restait principalement sous influence américaine, où le space opera servait souvent de prétexte à des aventures classiques transposées dans l’espace. Avec “Valérian et Laureline”, ils imaginent une alternative : une fresque intergalactique cosmopolite, foisonnante et moderne, ancrée dans les aspirations et les inquiétudes de leur époque.

Lorsque les deux comparses donnent naissance à leur série en 1967, le monde retient son souffle. L’ombre d’un cataclysme nucléaire plane sur l’humanité, la guerre froide alimente une angoisse sourde, et la science-fiction devient un miroir des craintes contemporaines. Christin et Mézières en savent quelque chose : leur première rencontre s’est faite sous la menace des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, abrités dans une cave blindée. Cette expérience fondatrice marquera leur vision du monde, mais sans jamais altérer leur volonté de proposer des récits porteurs d’espoir. Comme une réponse à la barbarie humaine, ils conçoivent Galaxity, cité utopique surgie des cendres d’une Terre ravagée par les radiations. En contrepoint, la Trinité d’Hypsis, trio capricieux d’antagonistes, manipule le destin de l’univers avec une indifférence divine.

Mais “Valérian et Laureline” ne se résume pas à une parabole sur la survie face au néant. D’autres thématiques, révolutionnaires à leur manière, viennent enrichir la trame et imposer la série comme une pierre angulaire de la bande dessinée française. L’évolution des personnages en témoigne : loin des archétypes figés, Laureline incarne une féminité libre et audacieuse, à mille lieues des héroïnes conventionnelles de l’époque.

Mézières, bien qu’il se soit toujours considéré comme un dessinateur insatisfait, forge un style vif, spontanté et singulier. S’il admire Jean Giraud , alias Moebius, il ne cherche pas à rivaliser avec sa minutie hypnotique. Son trait évoque une vitalité brute, une immédiateté qui confère à son univers une identité unique. Ensemble, Christin et Mézières bâtissent un monde en perpétuelle expansion, un espace où le temps se dérobe et où l’imaginaire ne cesse de repousser ses propres limites.

Après plus d’un demi-siècle de complicié, ils auront publié pas moins de vingt-cinq tomes chez Dargaud , sans compter les hors-séries et les premières planches diffusées dans le magazine Pilote . Une production qui, à l’image de leur univers, donne le vertige. En janvier 2022, Jean-Claude Mézières s’est éteint, suivi en octobre 2024 par Pierre Christin. Mais leur héritage demeure intact. Chaque planche, chaque dialogue, chaque vol de vaisseau dans l’infini témoigne de leur audace et de leur talent. Ils n’ont pas seulement raconté des histoires : ils ont offert des mondes à explorer, des rêves à partager, des horizons à dépasser. Et dans l’immensité des possibles, “Valérian et Laureline” continueront à tracer leur route.

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Photo issue de la campagne de promotion du film « Valérian et la Cité des mille planètes » de Luc Besson : De gauche à droite > Dane DeHaan (Valérian), Luc Besson et Cara Delevingne (Laureline).

 L’Empreinte de “Valérian et Laureline” sur la Pop Culture

Valérian et Laureline : Une Influence Galactique   

L’influence de « Valérian et Laureline » dépasse largement le cadre du cinéma. En 2007, une série animée franco-japonaise voit le jour, témoignant de la portée internationale de la saga. Si son esthétique et son ton s’éloignent quelque peu de l’œuvre originale, elle n’en demeure pas moins une preuve supplémentaire de l’importance du duo dans l’imaginaire collectif. Mais son empreinte ne s’arrête pas là : elle s’étend bien au-delà, infusant insidieusement les arts visuels, la bande dessinée, l’animation et même le jeu vidéo.
Nombreux sont les créateurs qui revendiquent l’influence de « Valérian et Laureline », à commencer par Jean-David Morvan , scénariste du best-seller « Sillage » . Lors du festival d’Angoulême en 2007, il confiait : « J’ai pris chez Christin le fait de faire de la science-fiction qui n’est pas innocente. C’est-à-dire une science-fiction qui est pleine d’aventure et d’action, mais qui, à l’intérieur même de son histoire, raconte des choses sur le monde d’aujourd’hui. » À l’image de « Valérian et Laureline », « Sillage » met en scène une héroïne forte – Nävis – évoluant au sein d’un empire galactique où se croisent impérialisme, conflits politiques et questionnements éthiques. Une approche qui reflète la manière dont Christin et Mézières ont utilisé la science-fiction comme un prisme pour examiner notre époque.

Star Wars : L’inspiration silencieuse  

Si Jean-David Morvan reconnaît ouvertement l’influence de « Valérian et Laureline », George Lucas , lui, n’a jamais admis s’en être inspiré. Pourtant, les similitudes entre Star Wars et la « Valérian et Laureline » sont trop nombreuses pour être fortuites. Dès « L’Empire des Mille Planètes » , on retrouve un Valérian figé dans un bloc, préfigurant Han Solo piégé dans la carbonite. Aussi, Le costume blanc et doré de Laureline dans « Le Pays sans étoiles » ressemble étrangement à la tenue de la Princesse Leia dans « Un Nouvel Espoir » (1977). Le ferrailleur peu recommandable, Watto, évoque lui aussi les facétieux Shingouz. Et les similitudes s’enchaînes, notamment avec la secte des Connaisseurs, où ses membres dissimulant leur visage calciné sous un masque rappellent le terrifiant Dark Vador. Convaincu du lien entre les deux œuvres, Mézières a tenté d’entrer en contact avec George Lucas, mais le cinéaste est resté silencieux. En réponse, le dessinateur publiera une illustration moqueuse mais légère mettant en scène Luke Skywalker et Leia attablés avec Valérian et Laureline. Dans des bulles, Mézières fera dire à Leïa : « Comme c’est amusant de nous retrouver ici. » Ce à quoi Laureline répond : « Oh, nous sommes des habitués de cette boîte depuis longtemps. » Un pied de nez à peine voilé à l’omniprésence de la saga de Lucas, dont l’imaginaire doit, qu’il le veuille ou non, une part de son ADN aux pionniers du space opera européen.  

Luc Besson : La reconnaissance d’un fan  

Si Hollywood n’a jamais rendu hommage à “Valérian et Laureline”, Luc Besson, lui, a su reconnaître l’impact de l’œuvre. Grand admirateur de la bande dessinée, il fait appel à Jean-Claude Mézières pour imaginer l’esthétique de son film « Le Cinquième Élément » (1997). C’est à lui que l’on doit les taxis volants du film, inspirés du véhicule du « Cercle de Pouvoir » (1994). L’univers bariolé et grouillant du film, où humains et extraterrestres se croisent dans un chaos visuel assumé, doit énormément à la vision du dessinateur. Plus tard, Besson ira encore plus loin en réalisant une adaptation cinématographique directe de “Valérian et Laureline” en 2017 : « Valérian et la Cité des Mille Planètes » , confirmant ainsi que l’univers de Christin et Mézières avait enfin trouvé sa place sur grand écran. A ce propos, Pierre Christin dira même : “Luc Besson est l’un de nos premiers lecteurs, et je dirais même qu’il connaît peut-être notre œuvre mieux qu’on ne la connaît nous”. Malgré les différences notables qu’il peut y avoir entre le film et la bande dessinée, Mézières reconnaîtra qu’une adaptation, ne touchant pas le même public, ne peut être tout à fait fidèle à l’œuvre originelle.

Une rayonnement internationale  

Dès les années 70, alors que « Valérian et Laureline » posait les jalons d’un space opera résolument européen, d’autres créateurs s’en inspiraient déjà, parfois ouvertement, parfois dans un silence assourdissant. Alejandro Jodorowsky, maître du récit mystique et de la science-fiction baroque, a notamment puisé dans cet univers pour construire ses propres récits. Son œuvre « L’Incal » , illustrée par Moebius, partage avec « Valérian et Laureline » cette même fascination pour les sociétés intergalactiques tentaculaires et une vision critique du pouvoir. On retrouve aussi une empreinte familière dans « La Caste des Métabarrons » , saga grandiose écrite par Jodorowsky et dessinée par Juan Giménez , qui reprend à sa manière cette idée de l’aventure cosmique teintée de réflexion politique et philosophique. Philippe Druillet , quant à lui, dans son « Lone Sloane » , adopte un style plus extravagant et halluciné, mais son approche du space opera trouve un écho dans le travail de Mézières et Christin.

Pierre Christin et Jean-Claude Mézières : Architectes de mondes imaginaires

L’influence de « Valérian et Laureline » traverse également les océans pour se glisser dans les pages des comics américains. « Saga » , la fresque intergalactique de Brian K. Vaughan et Fiona Staples , semble, dans son ton et son exploration des relations interespèces, marcher sur les traces de ses prédécesseurs européens. 

Du côté de l’animation japonaise, plusieurs œuvres trahissent un héritage similaire. Leiji Matsumoto , créateur d’ »Albator » (Captain Harlock), insuffle à ses récits cette même errance intergalactique, peuplée de civilisations fascinantes et de figures de héros solitaires aux idéaux inébranlables. Plus tard, « Cowboy Bebop » , chef-d’œuvre du studio Sunrise , adopte une approche qui, bien que plus intimiste et jazzy, rappelle l’humour, l’humanité et la richesse du monde de « Valérian et Laureline ».

L’influence de la saga ne se limite pas aux cases et aux écrans. Elle trouve aussi un écho dans l’univers vidéoludique. « Mass Effect » , monument du jeu de rôle spatial signé BioWare , propose une vision de la science-fiction où politique, diplomatie et diversité extraterrestre sont au cœur du récit, reprenant l’un des traits fondamentaux de l’œuvre de Christin et Mézières. De même, « The Outer Worlds » , par son univers rétrofuturiste, son humour mordant et ses critiques sociales sous-jacentes, s’inscrit dans cette même tradition.

Ainsi, si « Valérian et Laureline » appartient désormais au patrimoine du neuvième art, son héritage, lui, continue de se propager comme une onde cosmique, insaisissable mais omniprésente. Son influence persiste, tissant sa toile entre les étoiles et les esprits, imprégnant d’autres œuvres, d’autres visions, d’autres rêves. Plus qu’une simple bande dessinée, « Valérian et Laureline » est devenu un prisme à travers lequel se réfractent les récits du futur, une constellation dont la lumière éclaire encore aujourd’hui les nouvelles explorations de la science-fiction.

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